Cabinet en propriété intellectuelle au Canada

Les jeux de mots ne sont pas toujours drôles : la parodie d’une marque de commerce par une société de cannabis n'a pas amusé la Cour Fédérale

Rédigé par Graham Hood

Une décision récente de la Cour Fédérale du Canada illustre le danger d'adopter une marque ou un nom commercial « inspiré » par une marque connue ou célèbre, même lorsque la confusion est peu probable. Cette décision est une mise en garde, notamment pour les industries en plein essor, dont l'industrie du cannabis, qui pourraient souhaiter profiter de l’achalandage et de la réputation d'une marque établie.

Contexte

Toys “R” Us (Canada) Ltd. ("Toys “R” Us"), le détaillant de jouets bien connu, a introduit un recours devant la Cour Fédérale contre Herbs “R” Us Wellness Society ("Herbs “R” Us"), une société canadienne exploitant une boutique et un « dispensaire » de cannabis à Vancouver, en Colombie-Britannique. Le Défendeur avait adopté et employait la marque de commerce HERBS R US et affichait de façon proéminente la marque-dessin suivante à l'extérieur de son magasin :

Image: 'Herbs R Us' logo


Dans sa requête, Toys “R” Us a allégué que Herbs “R” Us avait (i) violé ses droits de marque de commerce, (ii) appelé l'attention du public sur ses produits, services et son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada (également connu sous le nom de « passing off »), et (iii) déprécié la valeur de l'achalandage attaché à la marque enregistrée TOYS R US & Design:

Image: 'Toys R Us' logo


La décision de la Cour

La Cour a accueilli la requête en partie.

La Cour a rejeté les demandes du requérant pour contrefaçon de marques de commerce et « passing off », concluant qu'il était « [traduction] extrêmement peu probable qu'un consommateur canadien, même un consommateur occasionnel pressé avec un souvenir imparfait de la marque TOYS R US, voit la marque HERBS R US et conclut qu’un détaillant de jouets bien connu ait commencé à se diversifier dans les services de « dispensaires » ou de ventes de cannabis ».1

Toutefois, la Cour a conclu que Toys “R” Us a établi que l’emploi de la marque-dessin HERBS R US est susceptible de déprécier l'achalandage attaché à la marque enregistrée TOYS R US & Design, en violation de l'article 22 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c. T-13.

La Cour a interdit de façon permanente à Herbs “R” Us « [traduction] d'adopter, d’employer ou de promouvoir la marque ou le nom commercial HERBS R US, tel quel ou en partie, en tant que marque de commerce, nom commercial, logo, nom de domaine ou nom de compte d’un réseau social »,2 lui a ordonné de délivrer ou de détruire sous serment tous les biens, emballages, étiquettes et matériel promotionnel en sa possession, pouvoir ou contrôle, portant la marque, le nom commercial ou le logo HERBS R US, et de payer à Toys “R” Us des dommages-intérêts totalisant 30 000 dollars canadiens.

Les leçons apprises

L’article 22 de la Loi sur les marques de commerce au Canada interdit la « dépréciation de l’achalandage », une cause d'action similaire à celle de la « dilution des marques de commerce » prévue par la loi américaine Lanham Act. L’article 22 de la Loi sur les marques de commerce du Canada est libellé comme suit :

La dépréciation de l’achalandage

22 (1) Nul ne peut employer une marque de commerce déposée par une autre personne d’une manière susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage attaché à cette marque de commerce.

Cette disposition a une portée très large et peut servir à interdire les activités illégales d’un défendeur lorsque la violation traditionnelle d’une marque de commerce ne peut être établie. Par exemple, relativement à l’application du recours prévu à l’article 22, les tribunaux canadiens, incluant la Cour Suprême du Canada, ont conclu que :

  • le défendeur n’a pas à employer une marque de commerce identique à celle enregistrée. Il suffit pour un demandeur de démontrer que le défendeur a employé une marque « dont la ressemblance avec [sa marque enregistrée] suffit pour établir, dans l’esprit des consommateurs de la population de référence, un lien entre les deux marques ».3
  • le défendeur n’a pas à employer la marque en liaison avec des produits ou services identiques ou similaires à ceux du demandeur, ni en liaison avec des produits ou services concurrents de celui-ci.4
  • le défendeur n’a pas à employer la marque « en tant que marque de commerce » (c'est-à-dire comme indicateur de source).5
  • la marque du demandeur n’a pas à être connue ou célèbre. Il suffit pour le demandeur de démontrer que sa marque est «suffisamment connue pour que l’achalandage qui y est attaché soit appréciable ».6
  • le demandeur n'a pas besoin de démontrer la « confusion » pour établir la « dépréciation », celle-ci pouvant être sous forme d’atteinte à la réputation, de dilution, de dénigrement ou de ternissement de la marque du demandeur, ou encore d’ « érosion » de la capacité de cette marque à distinguer les produits du demandeur suite à l’« affaiblissement » de son image de marque.7

Pour ces raisons, l'article 22 est un outil utile et polyvalent pouvant aider les propriétaires de marques à défendre leur image de marque lorsqu'il est difficile d'établir un cas précis de violation de marque de commerce ou de « passing off ».

La décision de la Cour dans l'affaire Toys "R" Us (Canada) Ltd c Herbs "R" Us Wellness Society sert également de mise en garde pour les petites entreprises en démarrage dans tout secteur d'activité qui souhaitent profiter de l’achalandage et de la réputation d'une marque connue en inventant une marque ou un nom ludique. Comme le démontre clairement la décision de la Cour, ce n’est jamais une bonne idée.

Les compagnies de cannabis ont été particulièrement enclines à adopter des marques « jeu de mots » ou des noms « inspirés » par ceux de marques connues ou célèbres. Par exemple, un « dispensaire » de cannabis basé dans l'Oklahoma a adopté le nom éphémère « Dank of Oklahoma » avant que BOKF NA, qui est propriétaire de la marque enregistrée BANK OF OKLAHOMApoursuive les contrefacteurs devant la Cour Fédérale de l'Oklahoma.

Plus tôt cette année, Mondelez Canada Inc., propriétaire de la marque enregistrée SOUR PATCH KIDS, a obtenu une ordonnance de la Cour de district des États-Unis, District Central de Californie, contraignant Facebook et Google à divulguer des informations associées aux comptes Instagram et Gmail d'une société vendant des bonbons infusés au THC dans des emballages manifestement contrefaits ressemblant indéniablement à l'emballage distinctif de Mondelez:
Image: 'Toys R Us' logo



Mondelez a depuis modifié sa requête déposée en juillet dernier pour tenir les défendeurs responsables de la commercialisation et la vente des bonbons et, en avril 2020, la Cour de district des États-Unis a rendu son ordonnance finale et son jugement sur consentement interdisant de façon permanente aux défendeurs de violer les droits de propriété intellectuelle de Mondelez.

 

En outre, contrairement à la Loi sur le droit d'auteur au Canada qui reconnaît comme « utilisation équitable » l'utilisation d'œuvres d'autrui à des fins de « parodie ou de satire » (similaire au concept américain de « fair use »),8 la Loi sur les marques de commerce ne partage pas le même sens de l'humour: la parodie ou la satire ne constitue pas une défense viable dans un recours en violation de marque de commerce, de « passing off » ou de dépréciation de l'achalandage.

Les propriétaires de marques de commerce dans l'industrie du cannabis au Canada doivent également être conscients des restrictions supplémentaires imposées par la Loi sur le cannabis et le Règlement sur le cannabis, qui interdisent à une personne de :

  • faire la promotion du cannabis, d'un accessoire ou d’un service lié au cannabis d'une manière dont il existe des motifs raisonnables de croire qu'elle pourrait être attrayante pour les jeunes (c'est-à-dire ceux de moins de 18 ans)9; et
  • vendre du cannabis ou un accessoire dans un emballage ou avec une étiquette s'il y a des motifs raisonnables de croire que cet emballage ou cette étiquette pourrait être attrayant pour les jeunes.10

Dans sa requête, Toys "R" Usa également demandé des dommages-intérêts punitifs au motif notamment que l’emploi par le défendeur d'une marque associée à des enfants « [traduction] équivaut à cibler des enfants pour une entreprise de « dispensaire » illégal, ce qui est particulièrement répréhensible ».11 Bien que la Cour n’ait pas accordé les dommages-intérêts punitifs demandés, ne concluant pas que « [traduction] l’emploi de la marque HERBS R US visait de manière répréhensible un « dispensaire » de cannabis pour enfants », la Cour souligne néanmoins les dangers inhérents à adopter, pour son propre profit commercial, une marque ou un nom faisant allusion à la marque d’autrui.12 En effet, en concluant que Herbs “R” Us avait déprécié l’achalandage de la marque TOYS R US, la Cour a soutenu que « [traduction] la création d'une association entre Toys "R" Us et un dispensaire de cannabis, particulièrement un qui semble opérer sans licence et qui commercialise ses produits par le biais de réseaux sociaux ayant un contenu visant les adultes et comprenant de la nudité et des jurons, est complètement incompatible avec la réputation de la marque TOYS R US, et que cette association est susceptible de ternir l’achalandage » attaché à la marque.13

Conclusion

Que vous soyez, ou que vous représentiez, une marque établie bénéficiant d'un achalandage important, ou une petite entreprise en démarrage à la recherche d'une image de marque, il y a des leçons à tirer de la décision de la Cour dans Toys “R” Us (Canada) Ltd c Herbs “R” Us Wellness Society. Pour les propriétaires de grandes marques, la portée et la flexibilité de l'article 22 en font une arme contre d'autres qui peuvent déprécier, diluer, ternir ou affaiblir leur image de marque. Pour les nouvelles entreprises, et particulièrement celles de l'industrie du cannabis, l'adoption d'une marque « jeu de mots » peut entraîner des litiges et subséquemment un changement d’image de marque, ce qui peut engendrer des sommes importantes et ainsi condamner une entreprise à l'échec avant même qu'elle ne commence. Dans tous les cas, il convient de faire appel à un expert en marques de commerce avant de créer une nouvelle marque de commerce ou de prendre des mesures pour défendre une marque établie au Canada.

Pour plus d'informations à ce sujet, veuillez contacter un membre de notre équipe de Protection des marques de commerce et d’image de marque.

Ce qui précède constitue une mise à jour, en date de cet article, du droit canadien en matière de droit de la propriété intellectuelle et des technologies. Le contenu est uniquement informatif et ne constitue pas un avis juridique ou professionnel. Pour obtenir de tels conseils, veuillez communiquer directement avec nos bureaux.

Références

1. Toys "R" Us (Canada) Ltd c Herbs "R" Us Wellness Society, 2020 CF 682, par. 44.

2. Toys "R" Us (Canada) Ltd c Herbs "R" Us Wellness Society, 2020 CF 682.

3. Veuve Clicquot Ponsardin c Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, par. 38.

4. Veuve Clicquot Ponsardin c Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, par. 46.

5. H-D USA, LLC c Berrada, 2014 CF 207, par. 67.

6. Veuve Clicquot Ponsardin c Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, par. 46.

7. Veuve Clicquot Ponsardin c Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, par. 63-64.

8. Loi sur le droit d'auteur, LRC 1985, c. C-42, art. 29.

9. Loi sur le cannabis, LC 2018, c. 16, art. 17 (1)(b)

10. Loi sur le cannabis, LC 2018, c. 16, art. 26(a), 27(a)

11. Toys "R" Us (Canada) Ltd c Herbs "R" Us Wellness Society, 2020 CF 682, par. 69.

12. Toys "R" Us (Canada) Ltd c Herbs "R" Us Wellness Society, 2020 CF 682, par. 70.

13. Toys "R" Us (Canada) Ltd c Herbs "R" Us Wellness Society, 2020 CF 682, par. 61.