Cabinet en propriété intellectuelle au Canada

La Cour fédérale tranche la portée de protection offerte par un brevet sur la production de frites

Rédigé par Matthew Norton, Emily Miller, Jean-Sébastien Dupont et Daniel Davies

Dans l’affaire McCain Foods Limited c. J.R. Simplot Company (2025 FC 1078), la Cour fédérale du Canada a conclu que l’usage de champs électriques pulsés (CEP) par la défenderesse pour traiter les pommes de terre avant leur transformation en frites ne contrevenait pas au brevet canadien de la demanderesse portant le numéro 2,412,841 (le « brevet 841 »). La Cour a conclu que le terme « champ électrique élevé » (high electric field), tel qu’employé dans les revendications invoquées du brevet 841, ne comprenait que les champs électriques se situant entre 2 et 200 V/cm, et ne couvrait donc pas les champs électriques pouvant aller jusqu’à 1 000 V/cm et plus, qui sont communément utilisés dans le cadre d’un traitement au moyen de CEP.

La Cour a également conclu que, dans l’alternative où les revendications du brevet 841 étaient interprétées de manière à couvrir le procédé par CEP mis en œuvre par la défenderesse, les revendications seraient invalides en raison de leur portée excessive et de leur inutilité.

Les conclusions de la Cour soulèvent des questions intéressantes qui sont étudiées plus en détail ci-après en ce qui a trait (i) à l’admissibilité de la preuve d’expert relativement aux connaissances générales courantes; (ii) à l’interprétation des revendications et (iii) à l’invalidité, notamment la portée excessive et l’absence d’utilité.

La défenderesse, Simplot, a été représentée par Daniel Davies, Jean-Sébastien Dupont, Matthew Norton et Emily Miller du groupe de litige de Smart & Biggar.

Principaux points à retenir

1. Admissibilité de la preuve d’expert à l’égard des connaissances générales courantes sans interpréter les revendications

Lors du procès, la défenderesse s’est notamment appuyée sur le témoignage d’expert du Professeur Vorobiev. Dans le cadre de son mandat, Prof. Vorobiev avait les trois mandats suivants : (a) examiner le brevet 841; (b) décrire la personne versée dans l’art du brevet 841, et (c) décrire les connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art1.

La demanderesse soutenait que puisque Prof. Vorobiev n’avait pas interprété les revendications du brevet 841, son opinion sur les connaissances générales courantes ne tenait pas suffisamment compte du contexte, et que sans un portrait complet de la situation, tout témoignage du MProf Vorobiev concernant l’art antérieur ou les connaissances générales courantes ne pouvait servir au juge de première instance en raison du manque de lien avec les questions à être ultimement tranchées par la Cour2.

La Cour a retenu que même si Prof. Vorobiev n’avait pas interprété les revendications, son témoignage concernant les connaissances générales courantes était clairement lié à la question de l’interprétation des revendications puisque la Cour aborde cette question sous l’angle des connaissances générales courante3. En conséquence, le témoignage d’expert portant sur la personne versée dans l’art et les connaissances générales courantes d’une telle personne peut s’avérer pertinent et admissible en preuve, même si l’expert ne donne pas son opinion sur les questions juridiques sous-jacentes. Entre autres, la Cour a noté que les commentaires du juge Binnie dans la décision Whirpool abondent dans le même sens, c’est-à-dire que le rôle de l’expert consiste non pas à interpréter les revendications du brevet, mais à faire en sorte que le juge soit en mesure de le faire de façon éclairée4.

2. Le terme « champ électrique élevé » (High electric field) a été interprété en fonction du contexte général du brevet 841

La question de la violation du brevet dans cette affaire reposait essentiellement sur l’interprétation du terme « champ électrique élevé » (High electric field), tel qu’employé dans la revendication 1. Plus précisément, la revendication 1 du brevet 841 dit ce qui suit :

Un procédé servant à traiter des légumes et des fruits avant leur cuisson afin de réduire leur résistance à la coupe, qui se caractérise par l’application directe d’un champ électrique élevé aux légumes et/ou aux fruits dans des conditions telles que l’augmentation de leur température qui en découle est presque nulle ou suffisamment basse pour ne pas donner lieu à une étape de préchauffage. [Traduction libre]

La défenderesse a fait valoir que la notion de champ électrique élevé figurant dans la revendication 1 n’englobait pas son procédé par CEP visé par la poursuite, qui consiste à appliquer un champ d’une intensité de plus de 1 000 V/cm au moyen de pulsations très courtes (de l’ordre de microsecondes). La demanderesse a fait valoir que l’expression « champ électrique élevé » devait être interprétée au sens large, de manière à englober tout champ électrique qui facilite la coupe des fruits ou des légumes, et que cette expression couvrait donc le procédé par CEP de la défenderesse5.

La Cour a toutefois retenu la position de la défenderesse selon laquelle la notion de champ électrique élevé ne couvre pas le procédé par CEP auquel la défenderesse a recours. Elle a plutôt été d’avis qu’une personne versée dans l’art comprendrait que cette notion fait référence à un champ électrique non pulsé dans une fourchette de 2 à 200 V/cm6.

Pour arriver à cette interprétation, la Cour a retenu qu’une personne versée dans l’art aurait compris ce qui suit : (i) la notion de champ électrique élevé n’est pas un terme technique défini dans le domaine, mais bien un terme général utilisé dans différents contextes pour référer à des concepts variés7, et (ii) l’art antérieur employait invariablement le terme « pulsations » (pulses) pour désigner le procédé par CEP, mais aucune référence de ce type n’apparaît dans la description des « champs électriques élevés » contenue dans le brevet 8418.

La Cour a également estimé qu’une personne versée dans l’art qui examine le brevet 841 constaterait que les inventeurs ont décrit des essais avec des champs électriques entre 45 et 65 V/cm pendant 3 à 5 secondes et ont indiqué préférer une fourchette de champs électriques de 30 à 75 V/cm pendant 1 à 10 secondes. Une personne versée dans l’art constaterait également que rien n’indique que les inventeurs voulaient enseigner ou revendiquer (i) des champs électriques 10 à 100 fois plus élevés que ceux abordés dans le brevet 841, ou (ii) des champs électriques par impulsions près de 1 million de fois plus courtes que la plus courte période d’application dont il est question dans le brevet 8419.

En se fondant sur cette interprétation, la Cour a conclu que la défenderesse n’avait contrevenu à aucune des revendications invoquées du brevet.

3. Invalidité des revendications invoquées sur la base de l’interprétation de la demanderesse

La Cour a également statué que si l’interprétation de la notion de « champ électrique élevé » de la demanderesse était retenue, les revendications invoquées seraient alors invalides en raison (i) de leur portée excessive par rapport à l’invention créée ou conçue par les inventeurs et (ii) de leur inutilité.

Plus précisément, la Cour a retenu que l’utilité du procédé dans le cadre duquel des champs électriques à hauteur de 1 000 V/cm étaient appliqués par impulsions survenant par périodes calculées en microsecondes (c.-à-d. le traitement par CEP) n’avait pas été considérée ou valablement prédite par les inventeurs10.

Selon la Cour, les distinctions entre les traitements par CEP et les champs électriques non pulsés et à basse tension étudiés par les inventeurs ne reposaient pas uniquement sur les paramètres spécifiques du traitement mais bien sur le type ou la catégorie de traitement en général, notamment compte tenu des répercussions distinctes que ces champs électriques ont sur les tissus végétaux, les différents paramètres électriques requis pour leur mise en œuvre et l’équipement distinct propre à leur application respective11.

La Cour a également souligné que le titulaire d’un brevet ne peut se soustraire à l’obligation de démontrer ou valablement prédire l’utilité en interprétant les revendications pour en exclure les réalisations non utiles. La demanderesse a soutenu que la revendication 1 devait être interprétée comme étant limitée aux seuls champs électriques qui permettaient d’atteindre l’utilité énoncée dans la revendication, à savoir réduire la résistance à la coupe sans augmenter indûment la température du légume ou du fruit, de sorte que la revendication ne pouvait englober aucune réalisation non utile. La Cour a estimé que cette approche n’était pas viable, car elle remplacerait l’exigence d’utilité par une tautologie qui parvient à exclure toute réalisation inatteignable et permettrait à un titulaire de brevet d’obtenir un monopole sur un résultat sans enseigner les moyens particuliers d’y parvenir, ce qui est contraire au quid pro quo inhérent à l’octroi d’un brevet12.

Si vous avez des questions, n’hésitez pas à communiquer avec un membre du groupe Litiges en matière de PI.

Le présent article se veut une mise à jour ponctuelle en matière de droit des technologies et de la propriété intellectuelle en vigueur au Canada. Son contenu est uniquement informatif et ne constitue pas un avis juridique ou professionnel. Si vous souhaitez obtenir un tel avis, nous vous invitons à contacter notre cabinet directement.

References

  1. Il a également été demandé à Prof. Vorobiev de commenter sur ce qu’une personne versée dans l’art, à la lecture du brevet 841, comprendrait des enseignements du brevet en ce qui concerne la technologie et son utilisation (divulguée et revendiquée dans le brevet 841), mais la Cour a tranché que cette partie du témoignage était inadmissible en preuve.
  2. 2025 FC 1078, par. 36.
  3. 2025 FC 1078, par. 37 et 41.
  4. 2025 FC 1078, par. 37 à 38.
  5. 2025 FC 1078, par. 3.
  6. 2025 FC 1078, par. 5 à 6 et 219.
  7. 2025 FC 1078, par. 224.
  8. 2025 FC 1078, par. 225.
  9. 2025 FC 1078, par. 257 à 258.
  10. Voir p. ex. 2025 FC 1078, par. 381 à 386 et 496 à 497.
  11. 2025 FC 1078, par. 386.
  12. 2025 FC 1078, par. 454 à 455.