La prolifération des outils d’IA capables de générer des imitations convaincantes de voix, ou sous forme d’images et de vidéos, a eu pour effet d’accroître le risque, pour les entreprises qui utilisent les technologies d’IA aux fins de marketing, d’engager leur responsabilité.
Au Canada, l’utilisation inappropriée de l’image d’une personne est protégée en common law, et on peut faire valoir une telle utilisation en invoquant soit le droit à la vie privée, soit le droit à l’image, selon le contexte.
Les droits relatifs à la vie privée
Tout d’abord, en ce qui concerne le droit à la vie privée : lorsqu’une personne n’est pas célèbre et peut raisonnablement s’attendre à ce que sa vie privée soit respectée, la publication sans autorisation de son image ou de ses renseignements personnels peut constituer une atteinte à son droit à la vie privée.
Pour établir une violation de son droit à la vie privée, la partie demanderesse doit prouver ce qui suit :
- La conduite de la partie défenderesse est intentionnelle ou imprudente;
- La partie défenderesse s’est ingérée, sans justification légitime, dans les affaires privées ou les préoccupations personnelles de la partie demanderesse; et
- Une personne raisonnable considérerait l’invasion comme étant très choquante et causant de la détresse, de l’humiliation ou de l’angoisse.
Les professionnels du marketing ont donc tout intérêt à obtenir les autorisations nécessaires pour présenter une personne dans leur matériel promotionnel, et à s’assurer qu’une telle autorisation couvre bien l’utilisation réelle qui en découlera. Par exemple, il est possible qu’une autorisation permettant l’inclusion d’une personne dans une courte vidéo ne soit pas suffisante pour présenter ultérieurement le visage de cette personne sur un panneau d’affichage. Le délit que constitue la violation de la vie privée a entre autres été abordé dans l’affaire Vanderveen c Waterbridge Media Inc, dans laquelle une femme a obtenu des dommages-intérêts après la diffusion d’une vidéo la montrant en train de courir sur un chemin public au bord d’une rivière pendant deux secondes dans une vidéo promotionnelle de deux minutes pour un projet immobilier de la région. La demanderesse a été perturbée de se découvrir dans cette vidéo promotionnelle et a demandé que celle-ci soit retirée, ce qui a été fait dans un délai d’une semaine. Elle a ensuite intenté une action en dommages-intérêts, dans laquelle le tribunal a conclu que son inclusion par la partie défenderesse dans la vidéo promotionnelle était intentionnelle ou imprudente, qu’elle n’avait pas consenti à être filmée et qu’une personne raisonnable considérerait cette invasion comme étant très choquante.
Ainsi, en ce qui concerne les images produites par l’IA à des fins commerciales, les propriétaires de marques doivent garder en tête que l’IA pourrait générer l’image d’une vraie personne. Dans la mesure où l’IA produit une maquette ou une personne « imaginaire », le risque est alors moindre. Cependant, si l’IA a été entraînée à partir de vraies photos et vidéos et que l’on décèle une ressemblance avec une vraie personne dans le matériel promotionnel généré par l’IA, il existe un risque considérable d’engager sa responsabilité pour atteinte à la vie privée.
Droits de la personnalité
Lorsqu’une personne est célèbre et possède une personnalité commercialisable, l’utilisation de cette personnalité à des fins commerciales sans l’autorisation de la personne concernée peut constituer de l’usurpation de personnalité. À cet égard, la définition de « personnalité » peut être très large et couvrir des indicateurs tels que le nom, l’image, la voix, le numéro de joueur, la silhouette, etc. Les caractéristiques clés évoquant une personnalité connue dépendent souvent de la source de la renommée de cette personne.
Comme ce fut établi dans la décision de 1973 dans l’affaire Krouse c Chrysler Canada Ltd et al, le délit civil d’usurpation de personnalité comporte trois éléments, que la partie demanderesse doit démontrer pour établir que ce délit a été commis :
- Sa personnalité a été exploitée par la partie défenderesse à des fins commerciales;
- L’utilisation de sa personnalité par la partie défenderesse est suffisamment claire pour permettre de la reconnaître; et
- L’utilisation de sa personnalité par la partie défenderesse suggère ou laisse croire qu’elle appuie celle-ci.
Il est important de noter que, contrairement au délit civil d’atteinte à la vie privée, le délit civil d’usurpation de personnalité n’exige pas que la partie demanderesse démontre le caractère intentionnel ou imprudent des actions de la partie défenderesse. En effet, dans plusieurs affaires, la partie défenderesse a été jugée responsable même en l’absence d’intention d’évoquer la personnalité de la partie demanderesse, ce qui suggère que l’utilisation de l’IA pourrait donner lieu aux mêmes résultats.
Dans l’affaire Athans c Canadian Adventure Camps Ltd et al, un camp d’été a engagé sa responsabilité pour avoir utilisé l’image d’un athlète sur la couverture de sa brochure promotionnelle sans autorisation. Le camp d’été proposait des activités de ski nautique et avait initialement cherché à s’associer à M. Athans, un athlète professionnel de ski nautique reconnu à l’international, mais M. Athans n’était pas disponible. Le camp n’a donc pas intentionnellement utilisé le nom ou l’image de M. Athans pour promouvoir le camp, et a même envoyé à M. Athans un exemplaire de courtoisie de sa brochure finale.
Cependant, la société de marketing qui a créé la brochure ne connaissait pas bien le ski nautique et a utilisé des photographies fournies par le camp d’été (y compris une photographie de M. Athans) pour créer un dessin au trait fait à la main d’un skieur nautique en action. Une fois terminé, le dessin évoquait fortement la pose signature de M. Athans, exécutant un virage avec une forme parfaite. Le juge a estimé que le dessin était étonnamment similaire à la principale photo utilisée par M. Athans pour se promouvoir, notamment sur son en-tête de lettre et sa carte de visite ainsi que dans des magazines et d’autres publications. Cette image était sans doute l’une des plus emblématiques et reconnaissables dans le milieu du ski nautique. Le camp a présenté ses excuses et a cessé d’utiliser le dessin.
Dans sa décision, la Cour a tranché que, puisque la brochure ne mentionnait nullement M. Athans, aucune personne raisonnable ne pouvait croire à tort qu’il était associé au camp et, en l’absence de toute preuve de confusion, le camp ne s’était pas livré à de la commercialisation trompeuse. Toutefois, elle a conclu que le camp avait tout de même usurpé la personnalité de M. Athans à des fins commerciales et lui a donc ordonné le versement de dommages-intérêts. Bien que M. Athans ne fût célèbre que parmi un public niche du milieu du ski nautique, la Cour a estimé que le camp ciblait cette clientèle qui pouvait donc le reconnaître.
Cette situation met en évidence un risque évident en ce qui concerne l’IA. En effet, la plupart des modèles d’IA sont entraînés à partir d’ensembles de données du monde réel, notamment des textes, des photos et des vidéos. Plus une personne est importante dans la vraie vie, plus le poids que lui attribue un modèle d’IA risque d’être important. De ce fait, si un utilisateur demande à l’IA de lui fournir une « image d’un skieur nautique en action », l’IA pourrait par exemple produire un résultat très similaire à une photo emblématique d’un skieur nautique célèbre. L’image obtenue peut ainsi évoquer une personnalité célèbre sans que la personne qui génère le contenu en ait connaissance ni l’intention. De même, une requête à l’IA telle que « chante notre slogan avec une voix d’ange » pourrait générer une voix imitant celle d’un musicien célèbre décrit comme ayant « une voix d’ange ». À ce sujet, l’IA parvient désormais régulièrement à créer des voix et des vidéos impossibles à distinguer de celles d’une vraie personne, comme le démontrent les exemples récents suivants :
Conclusion
L’utilisation sans autorisation de l’image, de la voix ou de la ressemblance d’une vraie personne dans des produits commerciaux présente des risques juridiques, tant en matière d’atteinte à la vie privée que d’usurpation de personnalité. Étant donné que les modèles d’IA sont capables d’imiter la voix ou la ressemblance d’une personne ou de produire involontairement des éléments de vidéos ou de photos du monde réel, l’utilisation de ces modèles pour créer du matériel promotionnel comporte un risque accru de responsabilité. Les propriétaires de marques doivent donc s’assurer d’utiliser les modèles d’IA à des fins commerciales de manière à ne pas y intégrer involontairement de vraies personnes.
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