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Les droits moraux et les lacunes contractuelles : le cas d’une murale cachée

Rédigé par Audrey Berteau

Montréal compte un nombre important de murales d’art de la rue qui font partie de son paysage urbain et contribuent à son identité distincte. Des artistes sont mandatés pour créer des murales qui rehaussent le caractère esthétique d’un bâtiment et du quartier environnant. Cependant, le désir de l’artiste de préserver son œuvre peut entrer en conflit avec les projets de réaménagement ultérieurs des propriétaires. Lorsque des questions se posent quant à la capacité des artistes à protéger l’intégrité de leur art de rue, les droits moraux prévus par la Loi sur le droit d’auteur sont essentiels. La décision dans Bachand c Mural souligne l’importance de prendre en compte les droits moraux lors de la commission d’œuvres d’art public.

Les faits dans Bachand c Mural

Un artiste ayant créé une murale à Montréal a découvert, six ans plus tard, qu’elle n’était plus visible du public en raison de la construction d’un nouveau bâtiment contre le mur où elle se trouvait. L’artiste a donc intenté une action contre le propriétaire et l’organisme (nommé Mural) qui l’avait retenu pour réaliser la murale.

Pour la création de cette murale, un premier contrat a été signé entre le propriétaire et Mural, et un second contrat entre Mural et l’artiste. Le problème est que les contrats ne prévoyaient pas la même obligation quant à la durée de protection de la murale. Le premier contrat, signé par le propriétaire, stipulait que la murale devait être protégée pendant au moins un an, tandis que le second contrat était silencieux sur ce point mais prévoyait que l’artiste conservait tous les droits de propriété intellectuelle sur son œuvre. Le premier contrat prévoyait même que le propriétaire avait le droit, en tout temps, de réaménager la propriété, ce qui pouvait entraîner l’obstruction ou la destruction de la murale. L’artiste n’avait pas été informé de cette clause.

Le propriétaire possédait à la fois le bâtiment sur lequel la murale était peinte et le stationnement adjacent. Six ans après la création de la murale, il a construit un immeuble de trois étages sur l’ancien stationnement, ce qui a obstrué la majeure partie de la murale.

Les conclusions de la Cour sur les droits moraux

La murale étant une œuvre artistique au sens de l’article 2 de la Loi sur le droit d’auteur, l’auteur bénéficie de droits moraux sur l’œuvre, notamment du droit à l’intégrité de l’œuvre en vertu de l’article 14.1 de la Loi sur le droit d’auteur. Les droits moraux sont violés, selon l’article 28.2(1) de la Loi sur le droit d’auteur, lorsqu’une œuvre est « déformée, mutilée ou autrement modifiée » d’une manière qui porte préjudice à l’honneur ou à la réputation de l’auteur. Lorsqu’une peinture, sculpture ou gravure est « déformée, mutilée ou autrement modifiée », ces types d’œuvres bénéficient d’une présomption de préjudice aux droits moraux de l’auteur en vertu de l’article 28.2(2) de la Loi sur le droit d’auteur. Cette présomption ne s’applique pas aux autres types d’œuvres artistiques.

La Cour a déterminé que la construction d’un bâtiment cachant la majorité de la murale constituait une « déformation, mutilation ou autre modification de l’œuvre », sans préciser laquelle s’appliquait. Elle a conclu que la murale constituait une peinture au sens de l’article 28.2(2) de la Loi sur le droit d’auteur. L’artiste bénéficiait donc de la présomption de préjudice et n’avait pas à démontrer une atteinte à son honneur ou à sa réputation.

Le propriétaire. Comme le propriétaire avait respecté toutes ses obligations contractuelles envers Mural (la murale avait été protégée pendant un an et, en tout état de cause, il n’avait aucune obligation de s’abstenir de réaménager la propriété adjacente), la Cour a jugé qu’il ne pouvait être tenu responsable de la violation des droits moraux de l’artiste. Le propriétaire pouvait présumer que Mural avait obtenu le consentement de l’artiste ou assumerait les conséquences avec celui-ci.

L’organisme Mural. Dans son contrat avec l’artiste, Mural a promis plus de droits qu’il n’en avait obtenus dans le premier contrat avec le propriétaire. Mural n’a pas correctement aligné les droits reçus du propriétaire avec ceux qu’il prétendait accorder à l’artiste. Par conséquent, l’artiste n’a pas été en mesure de prendre une décision éclairée quant à la création de la murale, étant donné l’absence de toute garantie que le propriétaire ne l’obstruerait pas ultérieurement par une nouvelle construction et qu’elle ne serait autrement protégée que pendant un an. Mural n’a pas participé à la « déformation, mutilation ou autre modification de l’œuvre », mais la Cour a jugé Mural responsable de la violation des droits moraux de l’artiste, car le contrat conclu par Mural avec le propriétaire a mis en place les conditions nécessaires pour que le propriétaire puisse légalement « déformer, mutiler ou modifier l’œuvre ».

Étant donné leur nature intangible, les droits moraux sont difficiles à quantifier lorsqu’ils sont violés. Comme l’artiste n’a présenté aucune preuve de préjudice concret, la Cour lui a accordé 2 500 $ en dommages-intérêts.

Leçons à tirer de l’affaire

Lors de la conclusion de contrats avec des artistes pour la création d’œuvres artistiques, les parties devraient examiner attentivement l’impact des droits moraux avec l’aide d’un professionnel en propriété intellectuelle.

Les droits moraux peuvent être abordés dans une clause contractuelle. Ils ne sont pas cessibles, mais l’auteur peut y renoncer. Comme les droits moraux appartiennent à des personne physique et non à des entités juridiques, seule une personne physique peut y renoncer. Si l’auteur ne renonce pas à ses droits moraux, ceux-ci demeurent avec l’auteur de l’œuvre, même si le droit d’auteur a été cédé ou vendu. Alternativement, un contrat peut prévoir une période limitée pendant laquelle l’entretien de l’œuvre est garanti.

Enfin, toute personne envisageant d’utiliser une œuvre artistique dans une campagne visant à promouvoir un produit, une cause, un service ou une institution doit se rappeler que les droits moraux de l’auteur à l’intégrité de son œuvre peuvent être violés si l’œuvre est associée à de telles activités d’une manière qui porte atteinte à l’honneur ou à la réputation de l’auteur.

Le présent article se veut une mise à jour ponctuelle en matière de droit des technologies et de la propriété intellectuelle en vigueur au Canada. Son contenu est uniquement informatif et ne constitue pas un avis juridique ou professionnel. Si vous souhaitez obtenir un tel avis, nous vous invitons à contacter notre cabinet directement.