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Les considérations stratégiques relatives aux procédures administratives postérieures à l’octroi d’un brevet au Canada

Rédigé par Julia London et Nicole Boyle

Le système de brevets au Canada prévoit de nombreuses procédures administratives postérieures à l’octroi qui permettent aux tiers et au titulaire d’un brevet canadien d’en revoir la portée et la validité sans devoir recourir aux tribunaux. Bien que ces recours soient plus restreints que ceux prévus aux États-Unis, ils peuvent, dans certains cas particuliers, présenter des avantages stratégiques.

Réexamen

L’article 48.1 de la Loi sur les brevets prévoit que chacun, y compris le titulaire du brevet, peut demander le réexamen de l’une ou de plusieurs des revendications d’un brevet octroyé à tout moment pendant la durée du brevet. La demande doit être fondée sur des brevets, des demandes de brevet publiées et des imprimés du dossier d’antériorité, et énoncer la pertinence de ces éléments du dossier à l’égard des revendications contestées. De ce fait, les parties ne peuvent recourir au réexamen que pour contester la validité d’un brevet sur la base de l’antériorité ou de l’évidence.

Pour une tierce partie contestant un brevet, le réexamen peut constituer une option plus rapide et moins coûteuse qu’une action en invalidation devant la Cour fédérale; cependant, les cas où le réexamen est susceptible de se conclure par un résultat favorable pour les tiers sont relativement limités (comme nous l’expliquons plus en détail ci-après).

Étape 1 – Évaluation du seuil

Une fois la demande déposée, le conseil de réexamen (le « conseil ») évalue si la demande soulève « un nouveau point de fond vis-à-vis de la brevetabilité » en ce qui a trait à l’une ou à plusieurs des revendications.

Si ce seuil n’est pas atteint, le conseil en avise le demandeur avec les motifs de sa décision, et celle-ci est finale et ne peut faire l’objet d’un appel ou d’une révision judiciaire. Le rôle de tout tiers (le cas échéant) prend fin au moment du dépôt de la demande, et seul le titulaire du brevet participe à cette procédure par la suite.

Étape 2  Réexamen

Si le seuil est atteint, le titulaire du brevet en est avisé et dispose de trois mois pour transmettre sa réponse contenant ses observations et/ou ses propositions de modifications à apporter au brevet (pour autant que ces modifications n’ont pas pour effet d’élargir la portée des revendications). Le conseil se saisit alors du réexamen des revendications, ce qui peut donner lieu à plusieurs échanges de correspondance entre le conseil et le titulaire du brevet, comme dans le cadre de l’examen préalable à l’octroi. Un délai maximal de 12 mois est applicable à la procédure de réexamen.

Étape 3 – Fin de la procédure et appel

Le conseil délivre finalement un constat portant rejet ou confirmation des revendications, ou modifiant les revendications. Le titulaire du brevet peut saisir la Cour fédérale d’un appel dans les trois mois de la réception du constat.

Le réexamen n’est pas similaire aux procédures d’examen entre les parties (« IPR » ou « Inter Partes Review ») ou postérieures à l’octroi (« PGR » ou « Post-Grant Review ») aux États-Unis

La procédure de réexamen au Canada se rapproche davantage de la procédure de réexamen sans les parties (« Ex Parte Re-Examination ») aux États-Unis prévue à 35 U.S.C. § 303(a).

Il n’existe pas d’équivalent canadien aux procédures d’examen entre les parties ou postérieures à l’octroi des États-Unis. Par conséquent, il n’existe au Canada aucune procédure administrative postérieure à l’octroi qui permette la participation continue d’un tiers, la présentation de preuves d’expert ou les étapes d’interrogatoires préalables.

De ce fait, sous réserve des cas limités de recours au réexamen au Canada, les procédures relatives à l’invalidité de brevets sont généralement intentées par voie d’action en invalidation devant la Cour fédérale.

Réexamen ou invalidation?

L’invalidation est une procédure contradictoire qui se déroule devant la Cour fédérale. Elle comprend des plaidoiries, des interrogatoires préalables, des témoignages d’experts et un procès, et dure généralement de deux à trois ans (sans compter le temps nécessaire pour les appels, s’il y a lieu).

Bien que le réexamen constitue un processus plus simple, il tend à favoriser le titulaire du brevet et présente des inconvénients importants pour les tiers. En effet, une fois la demande de réexamen déposée, la participation du tiers au réexamen prend fin. En outre, le titulaire du brevet a la possibilité de contester le dossier d’antériorité invoqué en modifiant les revendications, ce qui peut potentiellement renforcer la validité du brevet. Par conséquent, si le tiers ne parvient pas à faire invalider le brevet au moyen d’un réexamen, l’action en invalidation ultérieure aura moins de chances de succès que s’il n’avait pas initialement demandé le réexamen.

Le réexamen vise uniquement les contestations fondées sur le dossier d’antériorité et ne permet pas aux tiers de soulever d’autres motifs d’invalidité possibles au Canada, tels que l’insuffisance, l’ambiguïté ou l’absence d’utilité. En revanche, une action en invalidation permet au demandeur de faire valoir simultanément toutes les allégations d’invalidité pertinentes et oblige le titulaire du brevet à se défendre contre un ensemble plus large et plus complexe de questions d’invalidité sans avoir la possibilité d’y remédier en apportant des modifications à son brevet.

Compte tenu de ce qui précède, le réexamen n’est généralement demandé par des tiers que dans les cas les plus évidents, où une référence très solide au dossier d’antériorité soulève un nouveau point de fond vis-à-vis de la brevetabilité auquel une modification des revendications ne pourra vraisemblablement pas répondre. Autrement, une action en invalidation constituera généralement l’approche privilégiée pour faire valoir l’invalidité d’un brevet au Canada.

Dans de rares cas, le réexamen peut également être demandé lorsque le titulaire d’un brevet prend connaissance d’antériorités hautement pertinentes après l’octroi de son brevet et que cette antériorité soulève un point qu’on peut facilement corriger en modifiant les revendications.

Redélivrance

L’article 47 de la Loi sur les brevets permet, pendant quatre ans à compter de la date de délivrance d’un brevet, au titulaire de celui-ci d’en demander la redélivrance si le brevet est « défectueux ou inopérant » en raison d’une erreur commise par inadvertance ou par accident. Le titulaire du brevet doit alors démontrer que le brevet est défectueux en raison de l’insuffisance de la divulgation ou parce que celui-ci revendiquait plus ou moins qu’il n’avait droit de revendiquer. Il peut même, dans certains cas, élargir la portée de la revendication si l’objet élargi est énoncé dans la spécification initiale. Les tiers ne peuvent pas entreprendre de procédure de redélivrance ni participer à une telle procédure.

La redélivrance est rarement demandée au Canada en raison du délai de prescription strict de quatre ans et du seuil élevé à atteindre pour démontrer une erreur par inadvertance. En pratique, il est le plus souvent utilisé pour corriger les erreurs commises dans le cadre de la poursuite.

Renonciations

L’article 48 de la Loi sur les brevets permet au titulaire d’un brevet de renoncer à une partie du brevet qui lui a été octroyé. Il peut également permettre au titulaire de réduire la portée d’une revendication de son brevet (en tout ou en partie) en supprimant tout élément ajouté par erreur, accident ou inadvertance, à condition qu’il n’ait pas eu l’intention de tromper le public. Aucun délai de prescription n’est applicable au dépôt d’une telle demande.

Lorsqu’une renonciation est déposée en bonne et due forme, le Bureau des brevets du Canada l’enregistre sans en examiner le fond. Il incombe au titulaire du brevet de s’assurer de la conformité de la renonciation aux exigences prévues par la loi.

Croisement entre les procédures administratives postérieures à l’octroi et les actions en contrefaçon ou en invalidité de brevet

Bien que les procédures postérieures à l’octroi semblent offrir aux titulaires de brevets la possibilité de renforcer leurs revendications pendant que des questions d’invalidité et/ou de contrefaçon sont en instance ou susceptibles d’être portées devant les tribunaux, ces procédures sont souvent inefficaces au Canada.

En effet, la Cour considère généralement qu’un réexamen concomitant ne justifie pas la suspension d’une action en invalidation en cours dans l’attente du résultat du réexamen1. En revanche, il n’est pas rare que les procédures de réexamen soient suspendues dans l’attente du résultat d’une action en invalidation concomitante2. De ce fait, les actions en invalidation se fondent généralement sur les revendications visées telles qu’elles existaient au moment d’entreprendre de telles procédures.

De plus, les procédures de réexamen n’ont pas pour but d’offrir au titulaire du brevet une seconde chance de redéfinir l’invention afin d’éviter des questions d’invalidité ou de lui donner du recul pour lui permettre d’inclure un produit contrefait à son brevet. Par conséquent, de telles tentatives d’ajustement des revendications après l’octroi du brevet peuvent être contestées devant le tribunal.

De même, une renonciation n’aura généralement pas d’incidence sur une action en contrefaçon ou en invalidation de brevet en cours.

Conclusion

Au Canada, les procédures administratives postérieures à l’octroi d’un brevet offrent des recours autres que le litige qui, même s’ils sont limités, permettent de revoir la portée ou la validité d’un brevet. Bien que ces procédures puissent s’avérer utiles en ce qui a trait à la gestion des risques ou du portefeuille, leur importance stratégique dans le cadre de différends en cours est bien souvent plutôt limitée.

L’action en invalidation demeure le moyen le plus utilisé, et généralement le plus efficace, dont disposent les tiers pour contester la validité d’un brevet au Canada. Pour les titulaires de brevets, les options administratives peuvent constituer des outils complémentaires, mais ne peuvent remplacer les recours judiciaires pour traiter les questions soulevées devant les tribunaux.

Ce qui précède se veut une mise à jour régulière du droit de la propriété intellectuelle et des technologies au Canada. Le contenu est informatif seulement et ne constitue pas un avis juridique ou professionnel. Pour obtenir de tels conseils, veuillez communiquer directement avec nos bureaux.

References

  1. Voir p. ex. Pfizer Canada ULC c Uniqure Biopharma BV, 2023 CF 629.
  2. Voir p. ex. Teva Canada Innovation c Pharmascience Inc, 2021 CF 367; Camso Inc c Soucy International Inc, 2016 CF 1116; et Les Équipements Prenbec Inc c Timberblade Inc, 2010 CF 23.