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Angelcare et Playtex scellent une nouvelle victoire contre le contrefacteur de brevets Munchkin

Rédigé par Denise Felsztyna et Guillaume Lavoie Ste-Marie

Le 17 août 2023, la Cour fédérale a rendu sa décision dans l’affaire Angelcare Canada inc. et al. c. Munchkin Inc. et al. (2023 CF 1111) sur le droit des Demanderesses à certaines réparations pour contrefaçon de brevet. Cette décision fait suite à un jugement rendu le 20 avril 2022, tel que modifié le 24 juin 2022, qui a trouvé les parties défenderesses Munchkin Inc. et Munchkin Baby Canada Ltd (les « Défenderesses » ou « Munchkin ») responsables pour contrefaçon de plusieurs  brevets (valides) appartenant aux Demanderesses qui revendiquent un dispositif  pour emballer et recueillir des couches souillées, commercialisé sous la marque « Diaper Genie »

Cette décision apporte des éclaircissements pour les titulaires de droits sur la possibilité d’obtenir une injonction lorsque les produits contrefacteurs ne sont plus vendus sur le marché canadien. Elle se prononce également sur le droit aux réparations possibles malgré de multiples restructurations d’entreprise, et plus particulièrement, lorsque les brevets en cause font l’objet de cessions et de licences. La décision réitère également les critères applicables au droit à différents types d’indemnisation pécuniaire.

Les Demanderesses ont été représentées avec succès par les plaideurs de Smart & Biggar François Guay, Guillaume Lavoie Ste-Marie et Denise Felsztyna.

Contexte

Les Demanderesses Angelcare Canada Inc., Edgewell Personal Care Canada ULC et Playtex Products LLC (les « Demanderesses » ou « Angelcare ») commercialisent au Canada le dispositif bien connu d’emballage de couches Diaper Genie, qui comprend un seau à couches réutilisable et une cartouche de recharge jetable contenant un tube allongé faisant office de sac. Une série de brevets revendiquent le seau, la cassette de recharge et la combinaison de ces deux composantes. À un moment ou à un autre, les Demanderesses ont été propriétaires des brevets en question ou avaient une licence pour leur exploitation.

En 2012, Munchkin a commencé à vendre des cartouches de recharges conçues spécifiquement en vue d’être compatibles avec le système Diaper Genie. Au fil des ans, Munchkin a vendu quatre différentes générations de cassettes et éventuellement, ses propres seaux à couches compatible avec ses cassettes.

Dans son jugement sur les questions de contrefaçon et de validité, la Cour fédérale a tranché en faveur des Demanderesses, confirmant que les trois premières générations de cassettes des Défenderesses contrefaisaient plusieurs des revendications alléguées, et que les quatre générations de cassettes contrefaisaient des revendications additionnelles lorsque combinées aux seaux des Demanderesses et/ou des Défenderesses.

La question du droit à la réparation a été traitée séparément. Munchkin s’est opposée à l’octroi d’une injonction contre ses trois premières générations de recharges, car elles avaient été retirées du marché canadien. Munchkin s’est également opposée au droit des Demanderesses de choisir entre des dommages-intérêts et une restitution des profits, à leur droit à des dommages punitifs et à la qualité d’agir de certaines Demanderesses à la répartition.

Le 17 août 2023, la Cour fédérale a jugé que toutes les Demanderesses, soit à titre de brevetés ou, de personnes se réclamant de ceux-ci, avaient le droit à une injonction contre les trois premières générations de cassettes de Munchkin et de choisir entre la restitution des profits et des dommages-intérêts.

Conclusions clés

Droit à une injonction

La Cour a réitéré qu’une injonction permanente est un recours naturel disponible en vertu de l’art. 57 de la Loi sur les brevets et qu’à moins de raisons équitables, elle devrait être accordée. En l’espèce, la Cour n’a trouvé aucune raison équitable qui justifierait de ne pas accorder l’injonction demandée. La Cour a conclu que l’absence de violation imminente n’appuyait pas les arguments des Défenderesses et, au contraire, leur a été défavorable. Puisque les Défenderesses n’avaient prétendument pas l’intention de commercialiser les produits contestés au Canada, elles ne devraient pas s’inquiéter de l’octroi d’une injonction avant l’expiration des brevets. Enfin, la Cour a souligné que, contrairement à l’indemnisation pécuniaire, qui compense la violation passée, les injonctions sont de nature prospective et constituent un élément dissuasif pour prévenir toute violation future. Cela permettrait d’ailleurs aux Demanderesses d’invoquer l’outrage au tribunal si les Défenderesses devaient reprendre leurs activités contrefactrices au Canada.

Droit à la restitution des profits

Les Demanderesses ont demandé d’avoir le choix entre réclamer des dommages-intérêts, correspondant à la perte subie par la contrefaçon, et les profits réalisés par les Défenderesses par suite de la contrefaçon. 

Après un examen approfondi de la jurisprudence, la Cour a réitéré qu’une restitution des profits est une réparation en « equity » à laquelle la partie qui a gain de cause n’a pas automatiquement droit. Toutefois, en l’absence de motifs convaincants, comme le demandeur n’étant pas sans reproche, un retard indu de la partie demanderesse à poursuivre l’instance, ou la complexité de l’instance, la Cour ne devrait pas refuser cette option. 

En l’espèce, les Défenderesses se sont principalement concentrées sur leur perception de la complexité de l’exercice de restitution des profits. Bien que la Cour ait convenu que cette cause ait était complexe (six brevets en instance, 117 revendications, quatre générations de cassettes, de multiples combinaisons de cassettes et des seaux à couche, etc.), elle a conclu que les Défenderesses n’ont pas démontré que ces complexités se traduisaient par des difficultés à effectuer la restitution des profits. À cet égard, la Cour a rejeté la prétention selon laquelle le fait de revendiquer des droits sur plusieurs brevets, surtout lorsque les Demanderesses ont eu gain de cause, pourrait mener à une conclusion d’inconduite de la part du breveté qui empêcherait le choix d’une restitution des profits.

Sur ce fondement, la Cour a statué que les Demanderesses ont le droit de choisir entre une restitution des profits et des dommages‐intérêts.

Droit des Demanderesses – les « personnes se réclamant du breveté »

Les Demanderesses ont fait l’objet de plusieurs réorganisations et acquisitions d’entreprises. Elles ont, au fil des années, exploité les inventions visées par les brevets soit directement, soit par l’intermédiaire de prédécesseurs, soit en collaboration les unes avec les autres, soit par elles-mêmes. Dans ces circonstances, les Défenderesses ont soutenu que certaines Demanderesses n’avaient pas la qualité requise pour obtenir réparation pendant certaines périodes. La Cour a rejeté cet argument et a plutôt conclu que toutes les Demanderesses avaient droit, soit comme brevetés ou comme personnes se réclamant du breveté, à des réparations pour toutes les périodes pertinentes.

La décision de la Cour reposait sur l’art. 55 de la Loi sur les brevets, qui prévoit que le breveté et « toute personne se réclamant de celui-ci » peut demander réparation pour contrefaçon de brevet. En examinant la jurisprudence pertinente, la Cour a confirmé qu’une « personne se réclamant d’un breveté » doit recevoir une interprétation large : elle désigne toute personne qui tire son droit d’utiliser l’invention brevetée, à quelque degré que ce soit, du breveté, peu importe les moyens techniques qui ont pu être utilisés. En pratique, cela comprend un utilisateur, un cessionnaire, un titulaire de licence de tout type (écrite, verbale, implicite, exclusive, non exclusive, etc.), dont les droits remontent au breveté. La preuve d’une relation commerciale entre les parties peut être utilisée pour démontrer une réclamation d’un breveté.

Se fondant sur ces conclusions, la Cour a conclu que toutes les Demanderesses avaient droit à des réparations à titre de brevetés ou de personnes se réclamant d’un breveté pour toutes les périodes pertinentes, puisqu’elles avaient été, à différents moments, propriétaires ou titulaires de licences des brevets revendiqués. La Cour a confirmé que le fait que les licences n’étaient pas toujours écrites n’empêchait pas le titulaire d’être considéré comme une personne se réclamant du breveté, puisque la loi n’exige pas un document écrit. En l’espèce, la Cour a conclu que la relation d’affaires des trois Demanderesses a mené à un effort conjoint visant un objectif commun, qui comprenait l’exploitation des brevets revendiqués, et qu’elles ont travaillé ensembles dans le cadre du litige, étant représentées par la même équipe d’avocats.

Mot de la fin

Dans cette décision, la Cour fédérale réitère de façon claire et précise les considérations applicables à l’évaluation du droit à réparation, plus particulièrement le droit à une injonction visant des générations antérieures ou discontinuées de produits contrefacteurs, le droit de choisir entre divers types d’indemnisation pécuniaire et la qualité pour agir de différents titulaires de droits dans le contexte de réorganisations d’entreprises et d’activités commerciales complexes en ce qui a trait aux inventions protégées. Cette décision renforce les droits des titulaires de brevets et apporte une clarté et stabilité à ce que les parties peuvent attendre d’un litige complexe en matière de brevets devant la Cour fédérale dans le secteur des produits de consommation.

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