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Nouveau temps pour une exception en vertu de la Charte? Groupe Swatch c Office québécois de la langue française

Rédigé par François Larose et Francesca Roy

Le 27 octobre 2025, le Tribunal administratif du Québec (TAQ) a rendu une décision1 infirmant une ordonnance de l’Office québécois de la langue française (OQLF). Cette ordonnance enjoignait Groupe Swatch (Canada) Ltée (Groupe Swatch) d’ajouter une « présence suffisante du français » à son enseigne extérieure affichant la marque de commerce SWATCH afin de se conformer à la Charte de la langue française (Charte) et au Règlement sur la langue du commerce et des affaires (Règlement), tels qu’ils étaient en vigueur au moment où l’OQLF a émis son ordonnance. À notre connaissance, il s’agit de la première décision du TAQ portant sur l’appel d’une ordonnance rendue par l’OQLF relative aux marques de commerce en vertu de son nouveau pouvoir d’émettre des ordonnances.

Contexte

Groupe Swatch affiche sa marque de commerce enregistrée SWATCH sur la façade extérieure d’un immeuble à Montréal, sans aucune inscription en français.

Le 28 février 2024, l’OQLF transmet une lettre formelle à Groupe Swatch pour lui signaler que sa marque est affichée à l’extérieur d’un immeuble exclusivement dans une autre langue que le français, sans assurer une « présence suffisante du français ». Cette exigence était applicable avant l’entrée en vigueur, le 1er juin 2025, du nouveau critère de la « nette prédominance du français » prévue à l’article 58.1 de la Charte. Groupe Swatch a refusé de s’y conformer, et l’OQLF a finalement émis l’ordonnance, laquelle fait l’objet de cet appel devant le TAQ.

La décision du TAQ

En appel, l’OQLF soutenait que les conditions de l’exception de la « marque de commerce reconnue »2 concernant l’affichage public d’une marque apposée à l’extérieur d’un immeuble uniquement dans une autre langue que le français s’appliquaient. Par conséquent, un texte en français (comme un générique, un descriptif des produits ou services, un slogan ou toute autre information utile au consommateur) devait accompagner la marque SWATCH, que l’OQLF considère comme une expression dérivée de l’anglais (« second » et « watch » — « montre » en français) et conservant son sens en anglais.

Groupe Swatch plaidait plutôt qu’elle ne peut se prévaloir du régime de l’exception de la « marque de commerce reconnue » puisque SWATCH n’est pas un terme dans aucune langue, mais plutôt une combinaison artificielle de lettres bénéficiant d’une exception spécifique prévue à l’article 26 du Règlement, de sorte qu’aucune traduction en français n’est requise.

Le TAQ a donné raison à Groupe Swatch et a infirmé l’ordonnance de l’OQLF. En rendant sa décision, le tribunal souligne notamment que :

  • L’évaluation du caractère « artificiel » d’une combinaison de lettres doit se faire du point de vue du public visé par l’affichage (bien que le TAQ ajoute qu’extraire une ou plusieurs lettres d’un mot avant d’en chercher le sens peut être pertinent lorsque la preuve démontre que le mot a été choisi pour contourner la Charte).
  • Il n’est pas clair pour le public ce que signifie la lettre « S » dans SWATCH (bien que, selon nous, l’association entre « watch » et les montres soit probablement évidente pour le public).
  • Même si « SWATCH » est aussi un mot anglais (signifiant « échantillon »), cette signification est étrangère au contexte commercial et est peu pertinente pour un consommateur cherchant une montre (bien que cet argument ne change pas le fait que « swatch » demeure un mot de langue anglaise).
  • La détermination par l'Office de la propriété intellectuelle du Canada de l'enregistrabilité d'une marque peut être pertinente : les marques clairement descriptives ou les marques constituées du nom du produit auquel elles sont liées ne sont généralement pas enregistrables. Ce n'était pas le cas pour SWATCH.

Au cours des dernières années, le TAQ et les tribunaux ont rejeté la défense selon laquelle les noms ou marques sont des combinaisons artificielles de lettres lorsque ces noms ou marques dérivent de mots d’autres langues (par ex., TiMES, GLOBOCAM, WELLARC, KTK), et ce, même si ces mots étrangers n’étaient pas évidents pour le public. En statuant que SWATCH était une « combinaison artificielle de lettres » qui ne nécessitait pas de traduction, le TAQ semble avoir été influencé par l'emploi de longue date par Groupe Swatch de sa marque bien connue (bien que la « renommée » d'une marque ne fasse pas partie des critères pris en compte dans l'évaluation).

Le délai dont dispose l'OQLF pour demander la révision judiciaire de la décision du TAQ est le 8 décembre 2025. Au moment de la rédaction du présent article, l’OQLF n'avait pas déposé de demande de révision judiciaire. Nous continuerons à suivre cette affaire et vous tiendrons informés de tout développement.

Ce qui précède se veut une mise à jour régulière du droit de la propriété intellectuelle et des technologies au Canada. Le contenu est informatif seulement et ne constitue pas un avis juridique ou professionnel. Pour obtenir de tels conseils, veuillez communiquer directement avec nos bureaux.

References

  1. Groupe Swatch (Canada) Ltée c Office québécois de la langue française, 2025 QCTAQ 10426
  2. Nous vous référons à notre article « Les exigences en matière de langue française au Québec pour le commerce et les affaires : réforme de la Charte de la langue française » pour une présentation générale des exigences en matière de langue française au Québec pour le commerce et les affaires en vertu de la Charte.