Cabinet en propriété intellectuelle au Canada

Les exigences en matière de langue française au Québec : Partie 5 – L’exception de la « marque de commerce reconnue »

Rédigé par Stéphanie Girard

 

Avis important : Le 13 mai 2021, le gouvernement du Québec a déposé le projet de loi 96 qui vise à mieux protéger la langue française dans la province du Québec. Bien que le contenu de notre série sur les exigences en matière de langue française au Québec reflète toujours l’état actuel du droit en la matière, la législation proposée modifie certains articles de la Charte de la langue française relativement à la langue du commerce et des affaires. Par conséquent, dans l’éventualité où le projet de loi 96 est adopté, notre cabinet mettra à jour sa série sur les exigences en matière de langue française au Québec. Nous vous invitons à vous abonner à notre infolettre afin de rester à l’affût des développements.

En 1977, le gouvernement du Québec a adopté la Charte de la langue française (L.R.Q. c. C-11) (la Charte), laquelle donne à la langue française le statut de langue officielle au Québec. La Charte rend donc l’utilisation du français obligatoire dans toutes les sphères de la vie publique dans la province.

Dans le cadre de la série « Les exigences en matière de langue française au Québec » de Smart & Biggar, nous présentons la Charte (Partie 1) et explorons son application dans la sphère du commerce et des affaires. Plus particulièrement, notre série fait un survol des règles applicables aux inscriptions sur les produits et la documentation les accompagnant (Partie 2), aux publications commerciales y compris les sites web et les médias sociaux (Partie 3), ainsi qu’à l’affichage public et la publicité commerciale (Partie 4). Dans des articles subséquents, les règles applicables aux noms commerciaux de même que le processus de plainte et les sanctions afférentes aux violations de la Charte et ses règlements seront notamment abordés.

Le présent article traite de l’exception de la « marque de commerce reconnue », qui rappelons-le est une exception commune aux règles générales applicables aux inscriptions sur les produits, aux publications commerciales, à l’affichage public et à la publicité commerciale.

Les « marques de commerce reconnues », une exception aux règles de la Charte

L’exception de la « marque de commerce reconnue » se retrouve dans le Règlement sur la langue du commerce et des affaires (L.R.Q. c. C-11, r. 9) (le Règlement) 1. Une « marque de commerce reconnue » est une marque de commerce enregistrée au Canada ou une marque de common law, c’est-à-dire une marque de commerce employée au Canada sans toutefois y être enregistrée.

Selon cette exception, une « marque de commerce reconnue » peut être dans une langue autre que le français, à moins qu’une version française de la marque n’ait été enregistrée 2. Cette exception peut être vue comme une alternative à la traduction d’une marque de commerce en français considérant que dans certaines circonstances, il n’est pas toujours optimal de traduire une marque en français que ce soit pour en préserver l’intégrité ou le caractère distinctif.

Comme nous le verrons plus loin, cette exception peut aussi être utilisée de façon stratégique pour éviter de traduire en français certaines inscriptions sur des produits vendus au Québec ou sur leur étiquette, pour autant que les inscriptions ou étiquettes fassent l’objet d’un enregistrement de marque de commerce au Canada.

À quel moment l’exception entre-t-elle en jeu?

Attention au scoop! Afin de comprendre comment revendiquer l’exception de la « marque de commerce reconnue », nous devons brièvement faire un survol du processus de plainte devant l’Office québécois de la langue française (OQLF). Ce processus sera décrit plus amplement dans le dernier article de notre série.

Essentiellement, lorsqu’une plainte est logée auprès de l’OQLF à l’effet qu’une entreprise utilise une langue autre que le français, l’OQLF ouvre habituellement une enquête et, s’il y a lieu, demande à ce que l’entreprise corrige la situation. Dans le scénario où la plainte vise des mots écrits dans une langue autre que le français et que ces mots correspondent à une marque de commerce, l’entreprise en question pourra revendiquer l’application de l’exception de la « marque de commerce reconnue » en (i) fournissant à l’OQLF la preuve que la marque est enregistrée (c’est-à-dire une copie du certificat d’enregistrement délivré par l’Office de la propriété intellectuelle du Canada) et (ii) en confirmant qu’aucune version française de la marque a été enregistrée au Canada. Cela est normalement suffisant pour mettre un terme à la situation auprès de l’OQLF, et ainsi régler l’affaire.

En l’absence d’un enregistrement de marque de commerce, une entreprise pourrait s’appuyer sur ses droits de common law au Canada dans la marque en question (c.-à-d. les droits acquis par l’usage de la marque au Canada). Le problème avec cette approche est que l’OQLF n’a ni les ressources ni l’expertise pour considérer la preuve de tels droits. Dans un tel cas, l’OQLF renverra l’affaire au Directeur des poursuites criminelles et pénales qui, si la cause le justifie, intentera une action pénale contre l’entreprise devant la Cour du Québec. La jurisprudence en la matière suggère que le fardeau de preuve incombant à l’entreprise est plutôt lourd. Par conséquent, si une entreprise décide de se prévaloir de l’exception de la « marque de commerce reconnue » en l’absence d’un enregistrement de marque, elle devra prouver ses droits de common law dans la marque en question et ce, devant les tribunaux. Cela signifie que l’entreprise court le risque que la Cour tranche contre elle et lui impose une amende. Soulignons qu’une telle décision serait rendue publique et pourrait par conséquent être rapportée par les journalistes. Ceci ne constituerait bien évidemment pas une très agréable publicité pour l’entreprise concernée.

Demandes de marques de commerce en instance au Canada

L’OQLF n’accorde habituellement aucun poids à une demande de marque de commerce en instance; l’exception de la « marque de commerce reconnue » ne serait alors considérée par l’OQLF que si l’entreprise démontre que la marque est bel et bien enregistrée.

Voyons maintenant comment cette exception peut être utilisée dans la pratique.

Conseils pratiques

Si « certaines inscriptions » dans une langue autre que le français apparaissent sur un produit ou son emballage, l’entreprise pourrait déposer une demande d’enregistrement de marque de commerce pour ces inscriptions. Ceci serait donc une solution de rechange à leur traduction en français.

Le terme « certaines inscriptions » employé ci-dessus peut comprendre des slogans, des expressions, des logos combinés à des inscriptions, des parties d’étiquettes ou, dans certains cas, des étiquettes entières. Tout ce qui précède peut faire l’objet d’une demande d’enregistrement de marque de commerce. D’autres éléments peuvent également être considérés, selon les circonstances.

Cette approche est toutefois dépendante du fait que la « marque » visée par la demande d’enregistrement, prise dans son ensemble, doit être considérée comme enregistrable par le Bureau des marques de commerce. Ceci suppose donc que la marque remplira tous les critères relatifs au caractère distinctif inhérent et ne sera pas clairement descriptive. Dans la pratique, si la marque de commerce visée par la demande contient au moins un élément distinctif et est par ailleurs enregistrable, cette approche devrait fonctionner.

À cet égard, il est important de noter que l’obtention d’un enregistrement de marque de commerce au Canada prend à l’heure actuelle plus de 3 ans, dans le meilleur des cas. Par conséquent, pour se prévaloir de l’exception de la « marque de commerce reconnue » au Québec, il faut une bonne planification.

Compte tenu du délai d’enregistrement, les entreprises doivent s’assurer qu’entre le moment où elles demandent l’enregistrement d’une marque de commerce et le moment où l’enregistrement est obtenu, la marque n’a pas changé au point où elle ne correspond plus à la marque visée par l’enregistrement. Dans un tel cas, le recours à l’exception de la « marque de commerce reconnue » serait difficilement envisageable.

Ayez également à l’esprit que malgré ce qui précède, certaines inscriptions sur les produits doivent être en français, notamment celles relatives à la sécurité (veuillez vous reporter au deuxième article de la présente série pour obtenir plus de détails), tout comme les autres inscriptions qui sont obligatoires en vertu de divers textes législatifs comme la Loi sur l’emballage et l’étiquetage des produits de consommation3.

Le prochain article de cette série (Partie 6) explorera les règles qui régissent l’affichage d’une « marque de commerce reconnue » à l’extérieur des bâtiments.

Nous vous invitons à communiquer avec un membre du groupe des marques de commerce de notre cabinet pour obtenir des conseils et une assistance supplémentaires.

Références

1. Règlement, articles 7(4), 13(4) et 25(4).

2. Règlement, articles 7(4), 13(4) et 25(4).

3. L.R.C. (1985), ch. C-38.

Ce qui précède constitue une mise à jour, en date de cet article, en matière de droit canadien de la propriété intellectuelle et des technologies. Le contenu est uniquement informatif et ne constitue pas un avis juridique ou professionnel. Pour obtenir de tels conseils, veuillez communiquer directement avec nos bureaux.